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A Science Po Aix en Provence,
du 3 octobre au 19 novembre 2012
dans le cadre de Phot'Aix.

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L'AUTRE C'EST LE MÊME
par Christian Skimao

  L’approche artistique de Patrice Loubon se situe dans deux domaines différents et pourtant complémentaires; d'un côté ses photographies, de l'autre une « reproduction » des prises de vue en question par le biais des arpilleras. On pourrait à ce sujet évoquer la notion de traduction du medium photographique par le tissu. L'œuvre finale se présente dans un emboîtage qui met face à face les deux représentations dans un dialogue à la fois visuel et narratif. L'importance de cette connivence existant entre le photographe et les brodeuses donne naissance à une œuvre nouvelle où chacun pourra déceler les variations inhérentes à ce genre de confrontation. Loubon nous explique dans un texte de présentation : « Parfois les deux versions, photo et arpillera, se renvoient comme dans un jeu des sept différences, le réel de l’une à l’autre. D’autres interprètent plus, cherchant à transcender le document et le réalisme photographique. »  Ainsi se met en place un ménage à trois comprenant le créateur, les dames et le spectateur.

 Dans sa démarche plastique Patrice Loubon nous présente le résultat d’un travail qui puise aux sources de l’art conceptuel mais là aussi avec bien des nuances. Si l’on songe parfois à Joseph Kosuth et à ses recherches sur l’idée et la tautologie on remarquera qu’ici le résultat de l’utilisation des arpilleras s’éloigne pour rejoindre l’Arte Povera et un artiste comme Alighiero e Boetti. On pense à ses productions de cartes du monde réalisées par des brodeuses afghanes à partir de 1971 et d’autres artefacts jouant avec la relation entre art et artisanat. On voit alors comment Loubon va lui aussi proposer aux brodeuses chiliennes une transposition opérant à partir d’un matériau trivial (le tissu et ses dérivés) lié à un art  populaire et autrefois connoté politiquement en tant que production mémorielle pour lutter contre la dictature militaire.

  En revenant sur le principe du jeu des sept erreurs évoqué plus haut en tant que processus en marche et en analysant concrètement certaines œuvres on aboutit à un résultat volontairement aléatoire.  La photographie propose un fragment du réel devenu vision personnelle de l’auteur au travers de son cadrage et de la composition générale. La réalisation de cette même scène par les brodeuses change le point de vue en offrant une relecture dudit fragment. On se trouve bien en présence d’une mise en abyme où le changement même du matériau influence également la perception du regardeur. Si nous prenons l’œuvre intitulée El Hombre Araña, prise en 2003 à Mexico, elle montre un personnage déguisé en Spider-Man qui passe devant des vitrines de supermarché placardées d’affiches promotionnelles où des caddies se trouvent emboîtés les uns dans les autres. Dans la version brodée les mêmes éléments cohabitent mais la matérialité du tissu, l’hiératisme du personnage, déjà très incongru dans une photographie prise dans la vie réelle, la simplification du décor, le caractère ouaté du tissu, offrent une apparente « naïveté » qui trouble les codes reconnus de la perception artistique.

  L’œuvre d’art finale joue donc avec l’écart créé entre les deux approches, changeant le statut de la photographie d’un côté et rehaussant celui de l’artisanat de l’autre. Dans ce vieux combat qui marque toujours les esprits entre ce qui se définit comme art et ce qui se trouve situé dans le domaine de l’artisanat, ce dialogue a de quoi nous troubler. Il semble intéressant de noter le caractère très militant, au sens le plus noble du terme, de la démarche de Patrice Loubon qui réunit ces deux classes de production. Une posture nouvelle prend corps qui privilégie la démarche sans oublier la matérialité du faire. Une recherche qui questionne le paradoxe d’une dualité conceptualisée mais également appuyée sur une connaissance intrinsèque de la technique de l’arpillera que pratique aussi le photographe.

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